Ab origine fidelis...
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Alex Bélanger
Patrick Essa
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Ab origine fidelis...
L'Eveil
Il prit la cerpe pour curer son fessou et faire reluire la lame à reflets argentés de son outil. Puis ses mains calleuses et grêles se saisirent du manche lisse pour le retourner et observer la justesse de son équilibre avant de le porter à son épaule pour se diriger à pied dans la Vazelle, un lopin de vignes d'ordinaires qu'il bichonnait avec respect.
Plantée par Louis le grand père et entretenue par ses fils ce bout de vignes dans les bas donnait depuis toujours le vin de la famille, celui qui la fortifiait, celui qui sans doute aussi adoucissait la peine de ces travailleurs courbés.
Cassé en deux, le dos émergeant du rang et la casquette de toile vissée sur le front, il maniait le rudimentaire outil avec souplesse . Sa lame lisse tranchait la terre en léchant respectueusement le cep, sans à coup avec une précision millimétrée, un geste fruste, d'une grâce indicible.
Je l'observais depuis le contour o je jouais avec mon vélo. Ce Jeudi , je ne saurais dire pourquoi, je compris que mon temps était venu et que regarder la sueur de mon père perler sur son front et mouiller son maillot bleu roi jusqu'au nombril n'était plus de mon âge. A 12 ans moi aussi je pouvais me saisir de cette pioche recourbée pour me rendre utile en soulageant mon aîné.
Il faisait chaud, je m'approchais de lui sans mot dire et, se relevant, il comprit. Un large sourire coupa son visage buriné et il me tendit ce manche que je n'imaginais pas si lourd. Il était encore chaud et humide. Mes premiers coups furent un combat chaotique contre cette terre sèche mêlée de mauvaises herbes. Combien de règes ai-je déchirés avant que de savoir les inciser avec dextérité! Apprendre me pris du temps. Jamais ma volonté ne m'abandonna.
A la tombée de la nuit, de retour en notre humble demeure, le repas était servi. Ma mère un peu inquiète de ce retour tardif mais heureuse de nous voir rentrer nous attendait sur le pas de la porte, son torchon à la main. Nous prîmes place autour de l'épaisse table de chêne et mon verre fut rempli au tiers pour la première fois. Jamais je ne me sentis plus fier et ces regards bleus qu'échangèrent mes parents firent de moi un presque adulte qui aurait pu piocher toute la nuit!
Je bus ce Vazelle doucement avec délectation et bonheur. Je crois depuis avoir bu de nombreux vins meilleurs, mais aucun n'a plus jamais eu cette saveur la...
Patrick
Il prit la cerpe pour curer son fessou et faire reluire la lame à reflets argentés de son outil. Puis ses mains calleuses et grêles se saisirent du manche lisse pour le retourner et observer la justesse de son équilibre avant de le porter à son épaule pour se diriger à pied dans la Vazelle, un lopin de vignes d'ordinaires qu'il bichonnait avec respect.
Plantée par Louis le grand père et entretenue par ses fils ce bout de vignes dans les bas donnait depuis toujours le vin de la famille, celui qui la fortifiait, celui qui sans doute aussi adoucissait la peine de ces travailleurs courbés.
Cassé en deux, le dos émergeant du rang et la casquette de toile vissée sur le front, il maniait le rudimentaire outil avec souplesse . Sa lame lisse tranchait la terre en léchant respectueusement le cep, sans à coup avec une précision millimétrée, un geste fruste, d'une grâce indicible.
Je l'observais depuis le contour o je jouais avec mon vélo. Ce Jeudi , je ne saurais dire pourquoi, je compris que mon temps était venu et que regarder la sueur de mon père perler sur son front et mouiller son maillot bleu roi jusqu'au nombril n'était plus de mon âge. A 12 ans moi aussi je pouvais me saisir de cette pioche recourbée pour me rendre utile en soulageant mon aîné.
Il faisait chaud, je m'approchais de lui sans mot dire et, se relevant, il comprit. Un large sourire coupa son visage buriné et il me tendit ce manche que je n'imaginais pas si lourd. Il était encore chaud et humide. Mes premiers coups furent un combat chaotique contre cette terre sèche mêlée de mauvaises herbes. Combien de règes ai-je déchirés avant que de savoir les inciser avec dextérité! Apprendre me pris du temps. Jamais ma volonté ne m'abandonna.
A la tombée de la nuit, de retour en notre humble demeure, le repas était servi. Ma mère un peu inquiète de ce retour tardif mais heureuse de nous voir rentrer nous attendait sur le pas de la porte, son torchon à la main. Nous prîmes place autour de l'épaisse table de chêne et mon verre fut rempli au tiers pour la première fois. Jamais je ne me sentis plus fier et ces regards bleus qu'échangèrent mes parents firent de moi un presque adulte qui aurait pu piocher toute la nuit!
Je bus ce Vazelle doucement avec délectation et bonheur. Je crois depuis avoir bu de nombreux vins meilleurs, mais aucun n'a plus jamais eu cette saveur la...
Patrick
Re: Ab origine fidelis...
Quel beau texte senti Patrick!
Assez pour donner de l’énergie pour 60 millésimes… On te les souhaite!
Assez pour donner de l’énergie pour 60 millésimes… On te les souhaite!
Re: Ab origine fidelis...
Voilà ! Comme c'est beau !
Il est bon de s'imprégner de ces grandes émotions une fois de temps en temps ! Et surtout, de les partager avec d'autres.
Merci ben ! comme on dit en terre québécoise !
Il est bon de s'imprégner de ces grandes émotions une fois de temps en temps ! Et surtout, de les partager avec d'autres.
Merci ben ! comme on dit en terre québécoise !
Invité- Invité
Re: Ab origine fidelis...
Quel texte émouvant.
Un peu sur le vin, mais surtout sur le temps qui passe, les générations qui se succèdent et le passage à l'âge adulte, sous l'oeil attentif de fiers parents. Magnifique.
Un peu sur le vin, mais surtout sur le temps qui passe, les générations qui se succèdent et le passage à l'âge adulte, sous l'oeil attentif de fiers parents. Magnifique.
Yves Martineau- Messages : 8370
Date d'inscription : 07/06/2009
Localisation : Montréal
Re: Ab origine fidelis...
Quel beau texte Patrick!
André
André
André Laurendeau- Messages : 853
Date d'inscription : 21/06/2009
Age : 62
Localisation : Ste-Dorothée
Re: Ab origine fidelis...
Ça donne un autre éclairage à la devise du Domaine et rend indissociable, dans la notion de terroir, la terre et celui qui la travaille. Merci pour ce magnifique moment de recueillement.
_________________
"Mes goûts sont simples, je me contente aisément de ce qu'il y a de meilleur" - Winston Churchill
Vincent Messier-Lemoyne- Messages : 8731
Date d'inscription : 12/05/2009
Age : 40
Localisation : Montréal
Re: Ab origine fidelis...
Avoir une vraie famille................grande richesse, ça donne du fond.
Merci.
Merci.
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WineBoy
La dégustation à l'aveugle est une grande leçon d'humilité.
Michel Therrien- Messages : 10010
Date d'inscription : 01/06/2009
Age : 61
Localisation : Joliette
Re: Ab origine fidelis...
Premières gorgées
Tôt le matin nous descendîmes les escaliers usés de notre cave séculaire. Les bouteilles posées à même le sol selon un alignement minutieux attendaient notre visite, brillantes sous le feu des ampoules oblongues poussiéreuses, se parant d'or ou de rubis, elles semblaient se pavaner pour être choisies, nous attirant de leurs galbes sensuels.
Parcourir les allées, enjamber rouges, blancs, Nuits et Beaune, bordelaises ou alsaciennes, avec lenteur et précautions pour ne point troubler l'équilibre des piles et l'agencement choisi par mon aîné. Il me regardait, bienveillant et un peu inquiet, prêt à saisir celle qui par son apparence saurait me charmer. Un partage simple donnant son sens à ce lieu secret réservé aux aimés plus qu'aux amis, aux sens plus qu'aux espérances, à la vie humble plus qu'à la frime étiquetée.
Du doigt je fis le choix d'une bouteille ornée d'un hanap et de liserés vermillions, je le vis froncer ses sourcils et compris que ce jour là, ce vin n'était pas à la hauteur de ses espérances, mais il accepta avec simplicité car il savait que respecter un désir se positionne au dessus du raisonnement qui impose l'obtention du plaisir.
Nous bûmes ce cru à table, longuement, peu de mots, des regards parfois, une main sur mon épaule comme si sa vibration pouvait transmettre son ressenti. Je sens encore sa douceur, son grain, sa texture et cette forme accomplie qui fait d'un cru sans grade une bouteille aboutie. Gorgées de bonheur nées du partage et du respect, gorgées riches d'enseignements qui font de nos expériences les plus infimes des choix de vie précieux et inoubliables.
Nous étions à la Saint Valentin 1979 j'avais choisi une Folatières 1976 du Gaston...j'aimerais ce cru pour la vie.
Tôt le matin nous descendîmes les escaliers usés de notre cave séculaire. Les bouteilles posées à même le sol selon un alignement minutieux attendaient notre visite, brillantes sous le feu des ampoules oblongues poussiéreuses, se parant d'or ou de rubis, elles semblaient se pavaner pour être choisies, nous attirant de leurs galbes sensuels.
Parcourir les allées, enjamber rouges, blancs, Nuits et Beaune, bordelaises ou alsaciennes, avec lenteur et précautions pour ne point troubler l'équilibre des piles et l'agencement choisi par mon aîné. Il me regardait, bienveillant et un peu inquiet, prêt à saisir celle qui par son apparence saurait me charmer. Un partage simple donnant son sens à ce lieu secret réservé aux aimés plus qu'aux amis, aux sens plus qu'aux espérances, à la vie humble plus qu'à la frime étiquetée.
Du doigt je fis le choix d'une bouteille ornée d'un hanap et de liserés vermillions, je le vis froncer ses sourcils et compris que ce jour là, ce vin n'était pas à la hauteur de ses espérances, mais il accepta avec simplicité car il savait que respecter un désir se positionne au dessus du raisonnement qui impose l'obtention du plaisir.
Nous bûmes ce cru à table, longuement, peu de mots, des regards parfois, une main sur mon épaule comme si sa vibration pouvait transmettre son ressenti. Je sens encore sa douceur, son grain, sa texture et cette forme accomplie qui fait d'un cru sans grade une bouteille aboutie. Gorgées de bonheur nées du partage et du respect, gorgées riches d'enseignements qui font de nos expériences les plus infimes des choix de vie précieux et inoubliables.
Nous étions à la Saint Valentin 1979 j'avais choisi une Folatières 1976 du Gaston...j'aimerais ce cru pour la vie.
Re: Ab origine fidelis...
Folatières arrivera sous peu (2014?) au 3 rue de la Velle.......nous te le souhaitons! Comme nous souhaitons aller vous revoir à l'automne 2014....on ne sait jamais.
Merci du partage Patrick.
Merci du partage Patrick.
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WineBoy
La dégustation à l'aveugle est une grande leçon d'humilité.
Michel Therrien- Messages : 10010
Date d'inscription : 01/06/2009
Age : 61
Localisation : Joliette
Re: Ab origine fidelis...
J'espère aussi vous revoir les amis car vous nous manquez. Les premiers crus de Puligny - comme ceux de Meursault -deviennent si chers qu'il est fort compliqué de les acquérir tout en les revendant à des prix raisonnables. Le Cailleret en 2013 c'est du sûr mais singez qu'il se vend en moût plus cher que le Charlemagne et 50 % de plus que Vaudésir...c'est inquiétant.
Re: Ab origine fidelis...
Jeu de mains...
Avril arrive, les bourgeons sortent et les branches s'étirent doucement en suivant l'astre lumineux dans sa course contre le froid. Ces vertes naissances, si fragiles, si graciles, ont besoin de mains agiles pour parfaire leurs pousses en lissant les cils qui pointent de leurs yeux duveteux.
À mâtine humide, le tâcheron plié en deux hume les odeurs fines qui mêlent iode, accents feuillus et terres mouillées. Sa peau ressent le feulement des petites branches animées par le vent d'Ouest, elles lèchent son avant-bras et caressent ses poignets qui plongent avec délectation dans cette petite forêt de Verdure qu'il va falloir éclaircir. Le regard aiguisé précède ce geste sec qui casse la bourre inutile et préserve celle chargée de fruits, puis, avec une précision d'orfèvre les doigts poursuivent leur œuvre en équilibrant le cep sauvage pour lui préserver sa fougue en la transmettant aux raisins.
Labeur cent fois, mille fois répété, ouvrage éprouvant et minutieux qui autorise par moment un regard arrière motivant qui mêle admiration pour un rège rectiligne et satisfaction de la tâche accomplie sans que jamais cet égoïsme là ne soit diffusé. Plaisir simple et humain du travailleur solitaire soumis aux éléments climatiques.
Plus tard, repassant observer la qualité de son ouvrage et le reprenant pour l'affiner, il découvrira les réponses naturelles que ses actes auront enclenchés. Bourgeons devenus branches, raisins étalés ou serrés, végétation aérées ou entre-mêlées, les actes trouveront alors une résonance qui à coup sûr sauront le faire réfléchir... Tout en lui donnant encore un peu plus cet amour du beau et du bon!
Jeu de mains... Jeu pour demain!
Avril arrive, les bourgeons sortent et les branches s'étirent doucement en suivant l'astre lumineux dans sa course contre le froid. Ces vertes naissances, si fragiles, si graciles, ont besoin de mains agiles pour parfaire leurs pousses en lissant les cils qui pointent de leurs yeux duveteux.
À mâtine humide, le tâcheron plié en deux hume les odeurs fines qui mêlent iode, accents feuillus et terres mouillées. Sa peau ressent le feulement des petites branches animées par le vent d'Ouest, elles lèchent son avant-bras et caressent ses poignets qui plongent avec délectation dans cette petite forêt de Verdure qu'il va falloir éclaircir. Le regard aiguisé précède ce geste sec qui casse la bourre inutile et préserve celle chargée de fruits, puis, avec une précision d'orfèvre les doigts poursuivent leur œuvre en équilibrant le cep sauvage pour lui préserver sa fougue en la transmettant aux raisins.
Labeur cent fois, mille fois répété, ouvrage éprouvant et minutieux qui autorise par moment un regard arrière motivant qui mêle admiration pour un rège rectiligne et satisfaction de la tâche accomplie sans que jamais cet égoïsme là ne soit diffusé. Plaisir simple et humain du travailleur solitaire soumis aux éléments climatiques.
Plus tard, repassant observer la qualité de son ouvrage et le reprenant pour l'affiner, il découvrira les réponses naturelles que ses actes auront enclenchés. Bourgeons devenus branches, raisins étalés ou serrés, végétation aérées ou entre-mêlées, les actes trouveront alors une résonance qui à coup sûr sauront le faire réfléchir... Tout en lui donnant encore un peu plus cet amour du beau et du bon!
Jeu de mains... Jeu pour demain!
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